Éviction de Garry Conille : les 4 leçons de stratégies politiques à retenir.

Éviction de Garry Conille : les 4 leçons de stratégies politiques à retenir.

Après des mois de conflits entre le Conseil présidentiel de Transition (CPT) et le Premier Ministre Dr. Garry Conille, ce dernier a été finanlement évincé ce 11 novembre 2024, marquant ainsi l’acte II de cette deuxième vague de transition depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse en Juillet 2021. Notre intérêt ne se porte pas sur l’analyse de ces transitions qui suffoquent sous les crises successives: nous voulons surtout plonger nos regards sur la brève durée du gouvernement de Dr Conille pour tirer quelques leçons de stratégies politiques pour l’avenir.

Leçon 1 : L’ouverture politique.

Tout acteur politique devrait savoir que le maître-mot dans l’art de gouverner, est la concession (d’autres diront, le compromis). Même si les forces politiques en présence paraissent souvent irrationnelles ou démesurées dans leurs exigences, la gouvernance exige de les « compter » dans l’exercice du pouvoir.

Dès les premiers moments de la composition de son gouvernement, Dr. Conille s’est montré ferme à l’idée de garder la main sur les ministères essentiellement régaliens. Malgré l’inconfort exprimé dans les coulisses par plusieurs Conseillers-Présidents, le Chef de la Villa d’accueil, à la faveur de sa « légitimité » auprès de la Communauté internationale, a maintenu sa position de ne « rien céder ». N’aurait-il pas mieux fait de concéder ?

Leçon 2 : La relativité de la légitimité.

C’est une chimère… une illusion et un mirage dont tout homme politique doit se méfier. La légitimité est toujours relative et conjoncturelle: il faut l’embrasser avec prudence. Avec les mutations géopolitiques, les tendances régionales et les nouvelles compréhensions des dynamiques socio-politiques du monde actuel, la légitimité politique s’apparente à un starting-block, indispensable à chaque étape de l’exercice du pouvoir.

Dans le contexte de son intronisation comme nouveau Premier ministre, Dr Garry Conille fondait sa légitimité sur l’appui de la Communauté internationale. Mais pas seulement. Ancien Premier Ministre en 2011 sous le Président Joseph Michel Martelly et divorcé de ce dernier pour cause d' »incompatibilité politique », il a entrepris cette fois-ci de se faire désigner en mai 2024 dernier, à la succession du Dr Ariel Henry. Plus d’un avait perçu ce retour comme une opportunité pour ce médecin humanitaire, de revenir sur l’échiquier politique pour se venger de l’histoire. Sans le crier sur le toit, la population avait exprimé d’une certaine manière son adhésion par son silence résigné mais optimiste.

Au fur et à mesure que les semaines et les mois passaient, un sentiment de déception et de lassitude s’est accru au sein de la population, face à l’influence des gangs, à l’inefficacité des troupes kényanes et à l’aggravation de la crise humanitaire. La population s’exaspérait et se questionnait sérieusement sur la bonne foi de cette même communauté internationale, à l’aider à surmonter cette crise sécuritaire. Ce manque de perspicacité du tableau sociopolitique a échappé à l’expert de l’ONU.

Leçon 3 : Le rapport de force.

Le torchon a commencé à brûler depuis les incidents protocolaires et diplomatiques entourant la participation des membres du CPT à la 79e Assemblée Générale de l’ONU en septembre 2024 dernier. Humilié, le Conseiller-Président Leslie Voltaire avait promis de « faire tomber des têtes ». Est-ce que le médecin-Premier ministre s’était donné la peine de soigner ses rapports avec les membres du CPT à la suite de ces évènements ? N’a-t-il pas laissé le conflit se métastaser au point que même la médiation du corps diplomatique n’a su l’endiguer ?

Quelle est cette attitude de défi envers l’autorité de nomination, en prétextant que la Constitution ne permet pas de révoquer le Premier ministre ? N’est-ce pas sous-estimé la théorie du « jeu des acteurs » de Michel Crozier et Erhard Friedberg ? [1]. Dans le jeu politique, chaque acteur compte. Chacun dispose d’un levier d’influence pour arriver à ses fins. Le remaniement de l’équipe ministérielle aurait comme vertu de sauver politiquement Dr. Conille. Sa stratégie du « quitte ou double » exprimée par une attitude de fermeté a causé son éviction face à un Conseil présidentiel affaibli et décrié, surtout par les derniers scandales de corruption. Même à terre, un acteur reste redoutable.

Leçon 4: L’adaptation conjoncturelle.

Dr. Garry Conille aura été le premier Chef de Gouvernement de l’une des expériences présidentielles exercées en collège en Haïti, avec la particularité d’une présidence tournante. Il est possible d’avancer sans risque de se tromper que la longévité d’un Premier ministre qui gouverne au sein d’une telle configuration, dépend de sa capacité d’adaptation, de sa flexibilité relationnelle et de son esprit de conciliation.

Mis à part l’agenda gouvernemental, beaucoup d’observateurs étaient tentés de se ranger du côté de Monsieur Conille lorsqu’il n’a pas voulu cédé ces ministères-clés au CPT. Les torts causés dans le passé par le marchandage des postes ministériels, et les effets pervers de telles pratiques dans la traduction de l’action gouvernementale, marquent encore les esprits. Et de fait, la Primature est restée inflexible sur cette question durant le quinquamestre de Edgar Leblanc Fils. Cependant, n’était-ce pas une erreur de croire que Leslie Voltaire allait traiter ce dossier de mains mortes ?

L’actuel Président du CPT, Leslie Voltaire, n’est pas né de la dernière pluie dans la politique haïtienne. Doyen du Conseil du haut de ses 75 ans, fils d’un duvaliériste et lavalassien pur, il connaît bien l’écosystème du pouvoir pour avoir été lui-même en poste de responsabilité durant les mandats d’Aristide. Peut-on se passer du luxe de cerner le profil d’un tel homme?

En conclusion, il est temps de ne plus se confiner à l’idée que le locataire de la Primature doit être seulement un technocrate aguerri de l’administration publique, jouissant d’une bonne réputation. Cela ne suffit plus désormais. Un Premier ministre doit aussi être un bon stratège politique.

Références

[1] « L’acteur et le système » (1977) par Michel Crozier et Erhard Friedberg

Georges-Marc PIERRE-FRANCOIS

Politologue et Spécialiste senior en Sécurité et Sûreté

Etudiant en EMBA | IPES Business School